Pour la première fois cette année, le prix porte sur la violence sexiste, le crime contre l’humanité le plus effroyable. C’est une voix forte qui condamne le viol et les autres agressions sexuelles des femmes, en particulier comme arme dans les conflits militaires et les guerres. Cette brutalité indescriptiblement terrible est souvent utilisée systématiquement pour menacer des innocents et pour briser la volonté de résistance de toute une population. Jusqu’à présent, contrairement à d’autres infractions, ce crime est généralement rabaissé ou dissimulé – les auteurs s’en tirent impunément, car les victimes ne sont que des femmes et des filles….
Le prix le plus prestigieux décerné au Dr Denis Mukwege de la RD du Congo et à Nadia Murak d’Irak marque donc un tournant dans la sensibilisation et la prise de conscience du public. Nadja, de la minorité Ezidis, avait été brutalement violée et réduite en esclavage par les terroristes du SI. Après s’être évadée en tant que victime, elle avait courageusement brisé un tabou largement répandu :
Au lieu de se taire honteusement, elle a parlé ouvertement de ses souffrances physiques et psychologiques insupportables. Elle a accusé les auteurs de ces actes d’être des criminels qui doivent être traduits en justice. Nadja Mura a aussi fortement plaidé pour la réintégration des femmes et des filles dans leur propre communauté et pour leur redonner confiance en elles.
Pour l’AIF ce prix représente un pas important dans la bonne direction, car la lutte contre la violence sexuelle à l’égard des femmes et des filles est l’un de ses objectifs mondiaux les plus importants. De nombreuses organisations membres de la l’AIF sont confrontées à ces problèmes et adoptent des stratégies pour mettre fin à ces crimes.
Mais c’est surtout en RD du Congo que la population féminine est exposée à ces excès d’une cruauté flagrante. Pour le séminaire public à Berlin, Anuarite Siirewabo, résidant à Buvaku RD Congo et coordinatrice de SOFEDEC, avait envoyé un message vidéo. Elle a donné une description claire et émouvante de la vie des victimes de viol, voir son discours écrit original en français sur le site de l’AIF .
Toutes celles d’entre nous présentes à Berlin n’ont pas pu oublier l’appel d’Anuarite :
«…Le travail de SOFEDEC est d’aider les femmes à oublier les effets de la guerre, ce qu’elles ont subi…il nous faut du soutien pour elles, et il nous faut du soutien pour les enfants nés après ces horreurs… ce sont des plaies dans nos cœurs…»
Anuarite nous rapporte un incident brutal survenu le 13 février 2013. Alors qu’elle se trouvait dans l’un de leurs centres à Bisisi (Kalonge), elle a appris que deux femmes étaient gardées en prison et devaient subir viols, coups et tortures dans une maison occupée par des hommes armés. Anuarite ayant décidé d’y aller, rencontra quelques bergers et le chef du village. Ils l’ont tous avertie des risques extrêmes qu’il y avait à s’approcher de cet endroit. Malgré cela, Anuarite a continué et a pris contact avec le chef des groupes armés. Ils voulaient juste quelques boissons et une chèvre. Quand Anuarite a répondu à leur demande, les deux femmes ont été libérées. Puis Anuarite a demandé aux deux maris d’accepter à nouveau les victimes comme leurs épouses au lieu de les abandonner. Anuarite les a rassurés sur le rétablissement de leurs épouses après avoir été soignées médicalement. Puis Anuarite a amené les deux femmes à l’hôpital Panzi où le Docteur Mukwege les « réparait ». Aujourd’hui, une ancienne victime âgée de 32 ans est mère de plusieurs enfants, et l’autre de 47 ans mène également une vie heureuse.
En fait, le Dr Mukwege et son équipe offrent non seulement un traitement physique, mais aussi une aide psychologique après des expériences traumatisantes. Anuarite et les membres de SOFEDEC rendent visite aux femmes plus tard chez elles et tentent de les aider à être à nouveau acceptées comme membres à part entière de leur famille, un travail difficile dans un pays où les victimes de viol sont souvent mises au ban !
Pas étonnant qu’Anuarite ait été très heureuse d’apprendre que le prix Nobel de la paix avait été décerné au Docteur Mukwege ! En fait, il soutient des objectifs de vie similaires à ceux d’Anuarite, qui aide les victimes de viols, lutte contre l’impunité des auteurs et prévient la violence sexuelle.
Le Dr Mukwege dans son discours officiel en recevant le prix Nobel s’adresse à nous tous :
«Agir c’est un choix.
C’est un choix :
– d’arrêter ou non la violence à l’égard des femmes,
– de créer ou non une masculinité positive qui promeut l’égalité des sexes, en temps de paix comme en temps de guerre…Finalement, après vingt ans d’effusion de sang, de viols et de déplacements massifs de population, le peuple congolais attend désespérément l’application de la responsabilité de protéger les populations civiles lorsque leur gouvernement ne peut ou ne veut pas le faire. Il attend d’explorer le chemin d’une paix durable… »
Anuarite exprime aussi les mêmes préoccupations
«Les femmes de SOFEDEC, Solidarité des Femmes pour le Développement, Environnement et Droit de l’Enfant au Congo, poussent un cri d’alarme. Elles sollicitent votre attention, le soutien qu’elles cherchent n’est nulle part ailleurs que dans vos actions, vos dons, vos contributions et votre renforcement de la capacité de se maintenir et résister contre toutes les violences dont elles sont victimes…Ces braves femmes sont engagées dans la recherche de leur propre bonheur dans leur pays, pas ailleurs. Elles sont courageuses, ne reculent pas, ni ne cèdent à la peur…»
Il y a eu des élections nationales le 30 décembre 2018 en RD du Congo. Anuarite espère que sous le nouveau président de l’opposition Felix Chisekedi, il y aura des changements positifs. En fait, Anuarite était également candidate dans sa préfecture natale, mais elle s’est rendu compte que les femmes n’étaient généralement pas élues en grand nombre. Anuarite fait remarquer qu’elles n’ont pas les ressources nécessaires pour sensibiliser les gens à leurs problèmes pendant les campagnes électorales. L’un des problèmes est aussi la pauvreté des femmes. Par conséquent, les femmes n’ont pas facilement accès au pouvoir. Néanmoins, Anuarite estime que les femmes congolaises sont fortes et tenaces et qu’elles n’abandonneront jamais leur objectif à mi-parcours.