Déclaration de Sizani Ngubane le jour de la Consultation ONGCSW62, 11 Mars 2018

Sizani Ngubane
Sizani Ngubane

Je  n’arrive pas à croire à ma présence ici, je suis si humble et si  reconnaissante.  C’est un privilège,un honneur, une joie et surtout une RESPONSABILITE de recevoir la  distinction “Femme de Distinction ONGCSF”

Qui suis-je,  une humble femme zoulou rurale, qui n’a pas eu l’opportunité d’une éducation formelle,  mais  a pris la responsabilité de  s’éduquer elle-même;  recevoir un tel honneur et parler devant des femmes si importantes et si fortes.

Je pense que la réponse, c’est qu’en dépit des apparences de nos différences je suis vous… et vous êtes moi.  Et chacune de nous, à notre façon, dans nos pays respectifs, a lutté  pour la même chose: le droit inaliénable des femmes et des filles qui vivent dans les zones rurales, des filles autochtones et de l’égalité femmes-  hommes.

Et je pense que je peux affirmer une chose: c’est que nous avons été trop souvent forcées au silence,  trop souvent rejetées,  trop souvent ignorées , que nous avons pleuré trop souvent,  assisté a trop de choses,  et trop souffert.  Est-ce que vous êtes d’accord?

Certains nous accusent de travailler trop dur,  d’aimer trop  et de donner trop.  Pourtant peu savent que nous recevons aussi trop. À chaque pas de notre voyage vers l’égalité femmes-hommes,  peu importe la petitesse de ce que nous recevons,  c’est une somme incommensurable de joie.

Aussi différentes que nous puissions paraître et  à jamais liées, puisque comme Oprah et viola et Ruth et Lise et Malala et Rosa …et Eve (qui est ici, à présent, à NY) et  vous et vous et vous….. Et tant d’autres encore, chacune d’entre nous,…..  en dépit du bâillon,  en dépit des menaces, en dépit des abus mentaux,  émotionnels  et souvent sexuels et physiques,  et comme dans mon cas en dépit d’être infirme, et menacée  de mort régulièrement, nous avons  persisté.

Et nous allons continuer à persister, insister et RESISTER.

Comme ces  femmes innombrables et anonymes de mon village… comme Nonkululeko Zulu qui a tenté de résister…  Mais, trois hommes c’était trop. Nonkululeko est restée orpheline à quatre ans,  battue  et violée à 14, et forcée à  épouser le vieil homme – l’un des trois qui l’ont battue  et violée- en échange de huit vaches données, bien sûr, à son oncle, vu que les  femmes n’avaient aucun droits  à  la propriété.

J’ai souvent été voir  Nonkululeko. Mourant d’effroi, elle m’a  raconté qu’être avec son mari,  lui faisait revivre constamment cette terrible nuit.  Elle m’a confié qu’elle travaillait  très dur afin de racheter les huit vaches pour les donner à cet  homme et s’enfuir avec ses deux enfants.  Mais avant de pouvoir le faire, elle a de nouveaux été enceinte de son troisième enfant.

En 2015 Nonkululeko s’est suicidée,  laissant derrière elle 3 beaux enfants. Je suis ici aujourd’hui, avec elle, et des millions d’autres femmes autochtone qui sont à mes côtés et dans mon cœur qui me disent…… NAMI FUTHI  Ce qui signifie #ME TOO (MOI AUSSI) en isiZulu.

Je sais, qu’ici,  aux USA vous faites la même chose avec le mouvement #Me Too.

Comme dans la plupart des nations africaines,  nous disons aussi NATHI FUTHI,  “Nous  Aussi” …….depuis plus de 50 ans. “Nous Aussi”, NATHI FUTHI,  mérite d’avoir le droit à la terre, à l’héritage  et à la propriété,  qui dans la plupart des cas n’est donné qu’aux hommes. Bien qu’on estime qu’ entre soixante-quinze et quatre-vingts pour cent du continent Africain est cultivé par les femmes, celles-ci ne possèdent que  2 %  de la terre du continent.

“Nous Aussi”-NATHI FUTHI,  doit être protégé par les constitutions mondiales, et  non forcé à se taire par des chefs traditionnels de  communautés mâles  et corrompus et des parlementaires nationaux. NATHI FUTHI  doit avoir de l’eau….et n’avoir pas à se lever à une heure du matin pour creuser des trous  dans le sable près des rivières et souvent attendre plus de sept heures pour obtenir un seau d’eau de 20 -25 litres.

“Nous Aussi” doit être entendu et protégé contre le viol, la torture, les meurtres, les mariages forcés et  la traite et non, réduit au silence sous la violence et les menaces parce que nous sommes pauvres et ne possédons rien. “Nous Aussi” a besoin de quoi nous éduquer,  éduquer nos enfants, avoir accès aux soins, à la médecine et aux hôpitaux. “Nous Aussi” doit pouvoir nous défendre de la violence de genre perpétrée contre nous surtout par nos maris et nos petits amis et TOUS les hommes qui sont plus qu’ heureux de nous passer le HIV pour satisfaire leur appétit sexuel. “Nous Aussi”  a une voix, et c’est  notre tour!  Et nous invitons tout homme d’honneur à se joindre à nous.  SEKUYITHUBA LETHU  signifie c’est notre tour.

Mais permettez-moi de revenir à temps. Mon voyage, mon #Moi AUSSI,  comme activiste des Droits Humains a débuté il y a 64 ans lorsque j’avais huit ans. Je m’en souviens comme si c’était hier.

Il était trois heures du matin. Je m’étais levée tôt pour préparer mes frères et sœurs pour l’école.  Je m’occupais d’eux  depuis mes six ans.  L’école était à deux heures et demi  de marche. Je tremblais, pelotonnée  sous le lit de maman,  entièrement  cachée par deux grossières couvertures bleues et jaunes. Contre mes oreilles était pressée fortement  une petite radio, de peur d’être arrêtée pour écoute de Radio Liberté, interdite…… de Rhodésie, devenue depuis Zimbabwe, et de ce qui est maintenant devenu  le Mozambique. La voix étouffée du speaker a  averti: Smith (référence au président de l’état M. Ian Smith) tue des innocents  tous les jours à  sept heures du soir en les égorgeant. Ces gens là étaient perçus comme ne respectant pas le couvre feu de sept heures. Je me souviens avoir pleuré et, lorsque  ramper hors du lit devint  plus sûr, je déclarais ma résolution- qui d’ailleurs, n’a jamais changé -, à ma mère.  C’est horrible.  Je dois voyager dans toutes les  nations d’Afrique et  apprendre des femmes comment nous défendre de cette sorte d’oppression. Ma mère a dû penser, au mieux,  que j’étais adorable, ou au pire que j’étais folle lorsqu’elle a crié que nous avions à peine de quoi manger….. et que de toutes façons, personne dans notre communauté n’avait jamais osé partir.

En ce temps là les femmes autochtones n’avaient pas droit à la propriété ni à parler dans les réunions communautaires lorsque les hommes étaient présents. Les femmes étaient souvent battues par leurs maris (qui en général étaient ouvriers migrants qui ne rentraient à la maison qu’en décembre pour les vacances.). De très jeunes filles étaient kidnappées, torturées, violées et droguées au nom d’ukuthwala et contraintes  à des mariages abusifs à des hommes bien plus âgés, contre quatre à onze  vaches.

Mais ça c’est le passé,  et bien qu’il y ait  encore beaucoup à faire,  nous sommes ici pour célébrer le présent et les réussites incessantes de nos courageuses  et fortes sœurs et filles zulu,  à présent au nombre de 50 000, qui forment le RWM, (Rural Women’s Mouvement ) Mouvement des Femmes Rurales qui exprime   notre droit et notre pouvoir d’évoquer le changement .  Le fait  qu’une seule voix ait la  possibilité de déclarer une iniquité; , chaque fois qu’une femme ou une fille exprime un  idéal ou agit pour améliorer le sort des autres ou se bat contre les injustices,  elle  envoie un frémissement d’espoir.

J’ai débuté en  recrutant quatre jeunes femmes zoulous autochtones. Les femmes et  les filles autochtones Zoulous ont commencé des ateliers où des femmes fières, qui souffraient en silence ont pu ouvertement admettre et partager leur souffrance. La prise de conscience a été le premier pas de la riposte. Le second pas a été d’influencer  les processus d’élaboration politique ce qui permettrait aux  femmes de connaître leurs droits constitutionnels.

Nous continuons de  tenir des ateliers de compétence en leadership, en respect  de soi et en agriculture de base. Je ne me considère pas comme une femme  leader mais comme une facilitatrice, une guide. Comme chaque village et chaque situation sont différents et  ont des besoins différents, nous, RWM, formons

des leaders qui ont le pouvoir de résoudre leurs propres défis. Nous avons travaillé avec des femmes afin  de faire prendre conscience  de leurs possibilités…… d’y croire, d’y  apporter notre confiance, de les honorer et d’agir. Nous avons encore beaucoup à faire mais je suis fière de vous le dire……  Le résultat direct des interventions RWM:

Ukuthwala- enlèvement, torture, viol et mariages forcés de filles de moins de 13 ans – a  été éradiqué  dans deux communautés autochtones.  Nous célébrons actuellement sept années et neuf mois de tolérance zéro en ce qui concerne les mariages forcés.

Les maladies transmissibles sexuellement ont diminué d’environ 15 %,  les grossesses précoces ont diminué d’environ 10 %, les enfants ne meurent plus à la naissance. Le nombre d’abandons scolaires est passé  de 20 % à  environ  2 %.

Les parents, pères et oncles  inclus, donnent à présent priorité à l’école pour leurs filles, plutôt qu’au  négoce d’un mariage contre 4 à 8 vaches.

RWM travaille aujourd’hui avec 450 femmes qui ont augmenté leur revenu et  750 femmes rurales sont à présent mieux organisées, mobilisées pour effectivement faire pression et lutter  contre lois et pratiques discriminatoires envers le bien être socio-économique et culturel des femmes.

Les femmes à présent participent de façon effective au processus d’élaboration politique  comme partenaires d’autres femmes qui ne sont pas membres de RWM, en partageant leurs propres expériences et leur  savoir.

 

LE RWM a joué un rôle en déclarant l’Acte 11, Droits à la terre Communale de 2004, inconstitutionnel et consacré par des préjugés sexistes. Nous avons aussi bataillé sans relâche contre les projets de lois traditionnels des tribunaux de 2008, et la loi cadre sur le leadership traditionnel  et la gouvernance de 2003. Cette dernière voulait créer un système légal séparé pour les 18 millions de femmes vivant dans ce qui fut les  Bantoustans, et faire d’elles des citoyennes de seconde classe. Dans ces  deux communautés  le RWM a éradiqué ukuthwala. Les hommes ne peuvent plus chasser les femmes de la terre ou elles ont travaillé et peiné pendant des décennies, si leurs époux ou leurs pères décèdent. Grâce à notre travail,  les hommes ne peuvent plus confisquer et faire leur,  ce qui appartient de droit aux femmes et aux  filles autochtones.

Hier, les filles comme Nonkululeko n’avaient pas d’espoir, aujourd’hui, Comme je l’ai déjà mentionné, nous avons éradiqué ukuthwala.

Hier, les filles, ne pouvait pas étudier car il était admis qu’elles allaient emporter le bien de leur famille dans celle de leur époux, ou qu’elles avaient la  responsabilité  d’élever leurs  frères et sœurs ou encore, d’aller chercher l’eau ou de s’occuper des membres de la famille cloués au lit.

Aujourd’hui l’éducation des filles est devenue une priorité, y compris pour les  pères  et les oncles. Hier, les filles ne savaient pas comment les bébés viennent au monde, aujourd’hui elles sont au courant de la biologie et comment se protéger de grossesses non désirées. Plus jamais une jeune femme ou une jeune fille ne sera enlevée, torturée,  violée  ou forcée à  se marier dans ces deux communautés.

Aussi pour Nonkululeko qui sera toujours présente en mon cœur et pour toutes les jeunes filles et  femmes qui ont souffert ou  souffrent encore, je dédie cette journée. Et comme Oprah, l’a proclamé il y a peu “UN JOUR NOUVEAU S’OUVRE  A NOUS”. Nous savons que les changements prennent du temps et qu’ils ne sont pas portés par une personne seule, mais par une communauté de sœurs prêtes à défendre ce qui est juste. Et puisque nous parlons d’un JOUR NOUVEAU et d’Oprah, ….. Elle  a souligné la valeur des hommes qui ont rejoint le Mouvement #Moi Aussi. Aujourd’hui, alors que je me tiens devant vous, je remercie aussi ces hommes remarquables et prie pour  un changement de paradigme dans mon pays et dans le monde,  ou main dans la main hommes et femmes,  garçons et filles, puissent marcher vers la lumière (ainsi que l’a dit ………. Ce ne sont  pas les ténèbres de la tombe mais les ténèbres de la matrice)

Nous avons fait le tour du cercle, que puis-je ajouter à cette petite fille effrayée mais déterminée qui n’a pas eu d’éducation formelle, ni de mentor et qui a fait cette déclaration tellement absurde à sa mère il y a 66 ans.

Voici ce que j’aimerais lui dire,  Belle petite enfant innocente “Avant tout, n’oublie jamais que tu as de la valeur.  Que tu es sans limites. Que tout ce qui importe c’est que tu saches quel est ton but, que tu t’y tiennes et  n’abandonnes jamais.

Ton voyage ne sera pas facile et fera des détours ….. Mais ça n’a pas d’importance

Ton voyage sera souvent ardu et pénible mais çà non plus n’a pas d’importance.

Ton voyage va tester qui tu es.

Parfois tu auras l’impression de vouloir arrêter et que  personne ne t’écoute. Même çà, n’a pas d’importance”.

Tu feras des erreurs – tu trébucheras,  c’est comme ça tu apprendras.

Il est normal d’être imparfaite et NECESSAIRE d’être humble et vulnérable. Regarde dans les yeux ceux qui disent non, et dis leur que tu te fiches de leur opinion. Si tu sais que ce que tu fais est  juste, si tu te tiens pour les vulnérables, devant tes oppresseurs, c’est tout ce qu’il t’est possible de faire. Soit consciente de ce que tu éprouves,  même les sentiments d’effroi. Aies de la compassion pour les autres et pour nous.

Demande de l’aide quand c’est nécessaire et sache qu’ on ne peut pas réaliser nos rêves  tout seuls. Nous avons besoin d’une communauté. Il faut  quelqu’un qui nous écoute lorsque nous pensons être trop fatiguées pour bouger. Il nous faut quelqu’un qui prendra soin de nous lorsque nous sommes émotionnellement…….. et, oui,  physiquement battues.

Et par-dessus tout nous avons besoin de nous aimer aussi,  et de croire pourtant  qu’un jour nous toucherons au but. SACHE QUE CECI EST TON VOYAGE SACRE, et l’ esprit de toutes les femmes venues avant et avec toi.

A ma TRES CHERE MAMAN- Nomaswazi Ngubane  qui m’a élevée  et soutenue dans ce que j’ai fait, jusqu’à sa mort en 2014.  J’aimerais dire à son esprit  et a celui de ma GRAND-MERE- Mabuso Khanyeza:

Tu te souviens maman, ces choses naïves que j’ai dites quand j’avais six ans? Je suis ici!!! A l’ONGCSF62 à New York.  Et c’est le début d’un jour nouveau,  un jour où  une pauvre petite fille autochtone de la communauté iMbutu de KwaZulu Natal…..est en train de parler à 1000 femmes de pays différents et elles l’écoutent……  chère maman, je ne vous ai pas laissé tomber…….. et ce n’est que le commencement.

Je vous remercie tous de votre attention

A l’Alliance Internationale des Femmes, je dois dire que je n’ai pas assez de mots pour vous remercier de m’avoir nominé à cette prestigieuse  récompense. Joanna …….. Quand J’ai reçu votre e-mail m’informant que l’AIF voulait me nominer  pour ce prix,  j’ai eu envie de dire, s’il vous plaît ne me nominez pas car je ne pense pas pouvoir gagner  une telle récompense.  Mais au final je me suis dit que je ne voulais pas vous  décevoir, car il n’y a pas de mal à me nominer ,même si je ne réussis pas à être en haut  de la liste – que  de toute façon ce serait aussi quelque chose  d’important pour mon histoire d’être nominée  par une organisation Internationale de femmes.

Surprise, surprise -j’étais en train de passer en revue les nouvelles estudiantines sur Internet lorsque je suis tombée sur un article – Sizani Ngubane est la lauréate de “Femme de Distinction  ONGCSW62” je n’en ai pas cru mes yeux.

Merci encore.  Avec tout mon amour.

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