Journée Internationale pour l’Elimination de la violence à l’egard des Femmes

Dr. Denis Mukwege Bukavu

A l’occasion de la Journée Internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes nous avons assisté à deux événements importants:

 

Le matin, nous avons été invitées par la délégation aux Droits des Femmes du Sénat, à une table ronde sur les violences sexuelles dans les territoires en crise et les zones de conflits, en présence de Madame Justine Massika Bihamba, fondatrice et présidente de l’ONG synergie des femmes pour les victimes de violences sexuelles (SFVS), qui a témoigné.

 

Mesdames Annick Billon, Sénatrice de Vendée et Corine Lepage, Vice- présidente des constats établis en 2013 par la Délégation aux Droits des Femmes dans son rapport d’information Pour que le viol et les violences sexuelles cessent d’être des armes de guerre, nous ont rapporté la prise de conscience en 1990, du viol comme arme de guerre pour un nettoyage ethnique et l’utilisation de la femme comme esclave de guerre. La famille devait assister au viol, Les jeunes y compris, les jeunes garçons n’étaient pas épargnés. Les viols étaient filmés. On menaçait les familles de diffuser ces vidéos en ligne.

Une des causes de l’extension de ces viols de guerre c’est qu’ils atteignaient la société civile avec des conséquences destructrices: les femmes devenaient des mortes vivantes dans une solitude absolue, rejetées par leurs familles, avec leurs enfants. Les hommes devaient partir car ils étaient montrés du doigt pour n’avoir pas su protéger leurs familles .Quant aux bourreaux, ils étaient rarement punis.

Cette prise de conscience, et la résolution 1325 Femmes, Paix et Sécurité de l’ONU ont amené la délégation à un projet de résolution centrée sur les survivants et les enfants nés du viol.

Céline Bardet, fondatrice et présidente de We are NOT Weapons of War nous a rappelé qu’il n’y a ni chiffres, ni études sur ces constats. Les seules choses sont des estimations. On interroge les victimes pour les plaidoyers mais on manque d’études globales ,ce qui montre que le sujet n’est pas jugé très important, bien qu’il devienne plus lisible et plus public. L’ONU met beaucoup d’argent, mais on se demande où il va et qui il impacte.

Céline Bardet qui est juriste, nous rappelle que le viol est aujourd’hui un élément de crime constitutif international, un crime de guerre contre l’humanité, et même constitutif de génocide.

Il faut donc une justice plus proactive, il faut écouter les victimes, il faut les aider à porter plainte. il faut aussi les faire participer car ce sont les seules à savoir ce dont elles ont besoin. C’est ce qu’à compris le docteur Mukwege, ” l’homme qui répare les femmes”, qui a “mis une grande lumière” sur la RDC”.

La question des réparations fait sens pour les victimes même si cette notion est assez floue car la justice est longue et compliquée. Comment alors accompagner les victimes pendant ce temps? En fait on ne peut rien tant qu’elles ne sont pas reconstruites.

Les soignants, le Professeur Henri-Jean Philippe, gynécologue, secrétaire général d’actions santé femmes (ASF) et Sophie Martinez, sage-femme responsable de la mission d’ ASF en république démocratique du Congo ont alors parlé de cette reconstruction, à Bukavu, qui depuis avril 2019 collabore avec Panzi “,l’hôpital qui répare les femmes” et leur donne des formations en obstétrique, transfère des connaissances aux docteur(e)s et infirmier(e)s pour sécuriser les accouchements dans ces régions où les conditions économiques et géopolitiques sont difficiles, et où les grossesses non désirées sont menées à terme, pour permettre aussi des réparations physiques et psychologiques car les femmes violées sont très abîmées.

Justine Messica Bahamba nous a rapporté que les femmes abusées et rejetées n’ont pas accès aux soins aussi elles essaient de se rassembler dans des structures au Nord Kivu (RDC) où sont pris en charge les enfants nés de ces viols, et on essaie d’autonomiser ces femmes en  en faisant des chefs de petites entreprises, ce qui leur permet d’engager quelqu’un et d’épargner, et à leur tour elles peuvent octroyer des crédits à d’autres membres du groupe. Elles peuvent faire des projets.

A présent qu’elles ont travaillé sur les conséquences de ces violences et de ces guerres elles vont tenter de s’attaquer aux causes: ressources naturelles, justice, sécurité ( Plus de 30 groupes armés son actifs dans la région et causent la désolation. Pour eux la femme est inférieure à l’homme. Ce travail se fait sur le terrain. Il faut maintenant le faire au niveau national et international. Le Sud Kivu, proche, est différent du Nord Kivu, il y a des problèmes de compréhension entre les deux, mais certaines autorités les écoutent, notamment sur le problème des enfants.

Un plaidoyer a été fait pour le fond de réparation, mais sur 100 € mobilisés l’administration en prend 60 % il ne reste que cinq ou 10 € pour chaque victime, alors que les Nations Unies s’imaginent qu’elles reçoivent 90 % de ce qui est mobilisé. La procédure devrait changer mais s’il y a des avancées, elles ne sont pas rapides. Des chefs rebelles ont été condamnés mais il y a encore beaucoup à accomplir.

Fanny Benedetti, Directrice exécutive d’ONUfemmes France, a fait remarquer que si Justine a souligné la reconstruction par la responsabilité économique des femmes, Il y a une diversité de réponses complémentaires. Le bilan fait récemment par le secrétaire général de l’ONU est très contrasté, pas positif.” Le contraste entre rhétorique et réalité est frappant” a-t-il fait remarquer. Il n’est pas assorti de mesures concrètes. Il est    insuffisant pour que les femmes puissent reprendre vie civile et vie familiale correcte. Seules 50 % de ses recommandations sont mises en œuvre ou sont en cours, ou sont incomplètes. 10 % n’ont pas du tout progressé. Leur succès est dû soit aux dotations financières, ou à l’obligation ou non de rendre des comptes. La redevabilité est très insuffisante.

Sur les résolutions mises en œuvre en 2018 moins de 20 % contiennent des références spécifiques aux groupes de femmes et aux lanceuses d’alertes et 0,2% de l’aide bilatérale aux situations de crises ou de conflits va aux femmes. Seulement 41 % des états ont adopté le genre dans le 1325.

Des protocoles de réponses ont été mis en place dans certains pays comme la Côte d’Ivoire ou le Nigéria

Il est nécessaire aussi de nommer les choses comme par exemple, de qualifier le viol comme une arme de guerre. il faut connaître pour agir donc pour orienter les moyens humains et financiers. Il faut des statistiques, donc des fonds. On a aussi besoin de justice.

Le Sénat ne peut proposer de loi, aussi il utilise des propositions de résolutions comme contre le mariage des enfants. 36 membres hommes et femmes sont-investis de ce problème au Sénat. Dans le cadre des enfants nés de viols et sans identité, le nord Kivu les enregistre depuis trois ans.

Une série de questions-réponses a suivi ces présentations

Le second événement, était une conférence à l’AFD (Agence Française de Développement): la lutte contre les violences faites aux femmes: Un enjeu mondial pour l’égalité. En présence du Docteur Denis Mukwege, gynécologue, Prix Nobel de la Paix 2018 et de Rémy Rioux Directeur Général de l’AFD. Madame Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations en France, devait aussi participer malheureusement d’autres obligations l’ont appelée ailleurs.

Virginie Leroy, modératrice de la séance nous a rappelé qu’une femme sur trois subit des violences physiques ou sexuelles. Que seulement 52 % des femmes prennent seules leurs décisions, que bien des femmes sont victimes de la traite, bien des filles sont mariées avant 18 ans et beaucoup d’entre elles sont exploitées sexuellement.

Des initiatives citoyennes, et certains états ont pris conscience de cet état de fait comme le docteur Mukwege qui a eu le prix Nobel pour “mettre les femmes à l’abri de la violence”.

Mr Rémy Roux fondateur de l’AFD une association de femmes juristes qui accompagnent les femmes : “preuve de l’engagement très concret de l’égalité femmes/hommes en France” estime qu’il faut inscrire le Grenelle contre les Violences Conjugales, à l’international. La France s’y engage. C’est un des grands thèmes du G7 dans l’égalité entre les femmes et les hommes. L’AFD s’engage à verser des fonds pour aider les femmes en Afrique. La dimension femmes/hommes est un marqueur important de l’agence qui travaille avec un maximum d’acteurs français et africains pour changer les normes et les esprits in fine.

A la question de la modératrice: Il y a 5 ans on discutait sur l’éradication des mutilations génitales. 5 ans plus tard quels progrès réussis sur cette cause ? le Docteur Mukwege a répondu que ces pratiques misogynes qui passent par les mariages forcés ou d’enfants, les trafics d’ êtres humains, les soi-disant crimes d’honneurs, le viol, ont fait quelques progrès encore fragiles. Il y a un repli révoltant sur les droits sexuels et reproductifs. On a refusé la santé de la reproduction, un des plus grands progrès acquis, or ils doivent être réaffirmés aujourd’hui pour être renforcés demain. Réaffirmés pour être sûrs. Les soulèvements sont les résultats des discriminations.

Nombres de femmes ont été tuées. Combien de violences ont-elles subies avant d’être tuées. La violence est là tous les jours mais il y a le tabou du silence. Partout où insécurité et stabilité prévalent, il y a conflit, Avec les mêmes conséquences dévastatrices.

Toutes ces femmes parlent le même langage, qui montre que c’est notre humanité qui est violée: viols massifs, méthodiques, systématiques, viols collectifs publics sur leurs filles et leurs soeurs. Toute la famille est traumatisée, ce qui amplifie encore le nombre de victimes.

Les groupes armés ont leurs méthodes. Les femmes en sont en majorité les victimes, mais aussi les hommes les enfants. Ces viols sont planifiés par les supérieurs hiérarchiques, responsables mais  par les lésions que les victimes portent, on sait quel groupe est responsable.

Suite à un lavage de cerveau, Les jeunes garçons vont faire le travail des bourreaux. Traitement dégradant sur le corps des femmes: Introduction d’objets tranchants ou contondants –  Elles n’auront plus d’enfants après. Passage de maladies: elles deviennent, à leur tour, réservoirs de virus qu’elle propagent autour d’elles, et passent aussi à leurs enfants. C’est un traumatisme psychologique, qui va créer des souffrances pour des années, avec perte d’estime de soi, c’est à dire d’identité individuelle. C’est aussi un traumatisme pour tout le village. Les femmes sont violées en public, donc le pasteur ne peut plus parler de Dieu. Il y a destruction du tissu social. Il n’y a plus de projet commun donc plus de communauté. Les femmes doivent quitter la communauté qui les rejette, Les enfants nés du viol, “les serpents ” portent l’étiquette “ennemi” et ne sont pas acceptés. Les hommes aussi vont porter ces marques, car ils n’ont pas su protéger les femmes, ils doivent partir et c’est un départ massif. De plus En Afrique ce sont les femmes qui portent l’économie, si elles deviennent malades il y a destruction du tissu économique.

Ce n’est plus une simple crise humanitaire mais une crise de notre humanité:

Au Soudan il y a eu nettoyage ethnique. En Irak et en Syrie des ventes de femmes comme esclaves avec viols filmés et envoyés aux familles pour stopper leur résistance. Au Kosovo des fillettes de 7 ans ont été violées et leurs cris enregistrés et envoyés à leurs proches.

Notre responsabilité à nous tous est de s’occuper des femmes. Le problème va plus loin que de s’occuper des blessures.

A Pansi, on fait un accompagnement personnalisé, avec accès gratuit à la justice. On insère la santé mentale. Cette stratégie vise à transformer la souffrance en outil, Les femmes deviennent alors de véritables modèles elles organisent des associations dans le village pour que les autres ne souffrent pas comme elles. Aujourd’hui elles se sont rendu compte qu’il fallait faire connaître ces choses au delà des frontières. Pour le Docteur, briser le silence permet de basculer la haine de la victime vers le bourreau.

Le gros problème est celui de la réparation lorsqu’elles ont gagné leur procès. Elles ne sont pas payées, et de plus, le viol est difficile à décrire à la justice qui veut des preuves, or comment apporter des preuves? Le docteur Mukwege pense qu’elles devraient bénéficier d’une prise en charge pour se réinsérer dans la société.

Il a apprécié que le G7 ait réuni des spécialistes pour voir les lois progressistes. Parmi les 79 lois considérées comme progressistes, et concernant la violence de genre, assurer l’éducation de tous et intégrer l’égalité des femmes dans la législation publique,   il a été demandé aux différents pays d’en adopter au moins une.

Il a été aussi fait, au Conseil de Sécurité, une première résolution pour les enfants sans identité, et une qui fait progresser l’approche vers les victimes.

Pour terminer le docteur Mukwege a lancé un appel aux hommes: Les femmes ont fait bouger les lignes,   après la deuxième guerre mondiale, a-t-il dit, car elles se sont battues pour leurs droits. Que font les hommes pour faire avancer sur ce chemin d’égalité femmes/ hommes. On le fait aussi pour nous, car nos conditions d’hommes y gagneront aussi, et il ne faut pas porter les garçons au pinacle, car on pousse à cette vision des garçons.

Une table ronde, comment lutter efficacement contre les violences sexuelles en zones de conflits en proposant un accompagnement pluridisciplinaire/ un guichet unique/ un ensemble de services aux victimes? de 3 spécialistes de la prise en charge des violences sexuelles, a suivi ce terrible plaidoyer.

Madame Aurélie Belliot, Vice-procureur au Pôle Crime contre l’Humanité du Parquet National Antiterroriste du Tribunal de Grande Instance de Paris, nous a expliqué que ce tribunal ne peut poursuivre dans le cadre de conflits armés à l’étranger, sauf s’il y a gravité exceptionnelle sur la dignité de la victime, et aussi, sous l’angle des crimes contre l’humanité, dont le viol fait partie et s’il est commis par un groupe concerté en attaque systématique et qu’ il y a caractère massif et méthodique de ces viols. En ce qui concerne les conflits armés, le viol est considéré comme circonstance aggravante car conçu comme arme de guerre avec le désir de marquer les victimes. Quant un génocide est commis, est considéré comme auteur celui qui commet mais aussi, celui qui fait commettre. Cet Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, voit une explosion du nombre de dossiers car il y a une grande diversification des zones de conflits armés. ( Rwanda, Tchad, Libye, Afghanistan, Irak, Sri Lanka….) Les faits sont signalés par des plaintes d’autorités administratives. Parfois aussi, on part d’un bourreau en France et on retrouve son pays. Il est difficile de collecter des preuves et des témoignages. Il y a des zones où on ne peut se rendre (encore en guerre, ou état qui refuse). Les acteurs de terrain sont essentiels pour orienter les victimes.

Le bilan de la violence sexuelle est en demi-teinte, car ces crimes ressortent peu et les victimes ont du mal à en parler. Il faut aussi les accompagner et les prendre en charge.

Delphine Carlens Responsable du bureau Justice Internationale, Fédération Internationale des Droits de l’Homme, a expliqué l l’accompagnement des victimes:

Actions judiciaires contre la violence avec engagement d’activer les procédures judiciaires

Plaidoyer de sensibilisation car il y a absence de volonté politique des états concernés et présence de présumés coupables à des postes de hauts niveaux

Combat pour la justice et la réparation aux victimes devant les juridictions nationales, régionales, Internationales ou hybrides.

Soutien aux victimes dans leur quête de justice et de réparation. Au Mali une plainte a été déposée contre 15 auteurs présumés, l’un des auteurs est un ancien commissaire de Tombouctou qui a été inculpé. Accompagnement de femmes Yézidi qui se sont exilées

Au-delà du soutien judiciaire ils offrent aussi, un soutien social, économique et psychologique (en Guinée Conakry on accompagne des gens séquestrés. Ceci a mis en lumière l’insuffisance de l’assistance sociale là-bas.)

Pauline de La Cruz: Présidente de l’association Batik International nous a fait part de ce qui se passe en Égypte, qui n’est pas en conflit, mais où se passent un certain nombre de choses parfois tues, donc invisibles.

Les statistiques sont alarmantes. Il y a Impunité et banalisation de la violence, harcèlement sexuel dans l’espace public: 80 % des femmes déclarent avoir été harcelées dans l’espace public, la violence touche les femmes partout en Égypte. Ceci est peu conceptualisé car elles ne pensent pas être victimes. On considère que cela doit rester dans la famille. Elles pensent que si elles portent plainte cela n’aboutira pas, car on les renvoie alors en disant qu’elles trouveront un moyen de s’arranger avec leur mari. Il faut amener à changer les mentalités.

70 % des femmes sont aussi victimes d’excision et 50 % des femmes ont déclaré qu’elles sont victimes de violences physiques au foyer.

Une association intervient dans un quartier précaire du Caire et propose la prise en charge médicale juridique et psychologique ainsi qu’une assistance jusqu’à l’autonomie économique des victimes. Elle s’appuie sur les femmes leaders de la ville qui ont la confiance des victimes et réussissent à leur redonner confiance en elles-mêmes. Malheureusement en Égypte on ne peut accueillir les femmes qu’en accueil de jour, Celui-ci propose un espace de parole, élément clé des parcours de ces femmes, qui ont la crainte de ce qui va arriver en cas de divorce. Là, on les amène à l’autonomie pour qu’elles puissent décider si elle vont quitter leurs foyers.

Mais cela ne suffit pas, il faut à présent préparer des séances de sensibilisation pour pères, frères , communauté et leaders religieux, qui ne sont pas encore prêts à accepter cela. Leur faire comprendre que leurs femmes ont des droits, et que la violence n’est pas quelque chose de normal.

Pour ce qui est des traumatismes des enfants, plusieurs militantes sont en prison car elles ont dénoncé des situations de violence. Il leur faut trouver des alliances pour dénoncer ces situations et trouver les responsables.

Une série de questions réponses a clôturé la séance.

 

Danielle Levy  et Monique Bouaziz

28 Novembre 2019

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