Le monde s’intéresse à la taxation cette semaine, aussi voici une nouvelle histoire de taxation. Asana Abugre possède une petite boutique à Accra au Ghana, où elle fabrique et vend du batik et des textiles teints. Asana paye ses taxes régulièrement. Les femmes qui comme elle travaillent dans les marchés de la ville, payent jusqu’à 37 % de leur revenus en taxes sans aucun espoir de ne pas payer, quelque soit le peu d’argent qu’elles aient pu faire ce jour-là.
Il est sûr que ce n’est pas le genre d’histoire de taxation dont tout le monde a parlé. La communication des “Panama Papers” par le Consortium International des Journalistes d’Investigation est la plus importante fuite informatique de l’histoire et cette fois ce sont certains des gens les plus influents au monde qui on des causes de s’inquiéter de voir le secret de leurs arrangements avec les impôts sous le feu des projecteurs.
Pourtant ces deux histoires ont un lien. Lorsque ceux qui se trouvent au sommet de la pyramide économique trouvent des façons de payer peu ou pas de taxes, l’impact est ressenti d’autant plus douloureusement par ceux qui sont tout en bas – des gens comme Asana.
Si vous regardez les noms des leaders politiques et d’affaires des documents divulgués vous vous rendrez compte que ceux qui bénéficient des Paradis fiscaux sont majoritairement masculins. Ceci montre bien le fait que les positions de pouvoir sont en général tenues par les hommes. D’autre part nous savons aussi que ceux qui sont les plus impactés par les conséquences de l’esquive de l’impôt sont les plus pauvres soit, de façon disproportionnée, les femmes et les jeunes filles. Les secrets bancaires et l’esquive de l’impôt ainsi que le manque de fonds publics qui en résulte menacent l’accès des femmes et des jeunes filles aux services publics, augmentent le poids de l’aide aux soins non rémunérés qu’elles apportent et reportent le poids de la taxation sur ceux qui ont le moins de moyens pour l’assumer.
Les Panama Papers apportent aussi une preuve de l’échelle de l’esquive de l’impôt et de son impact sur la pauvreté et l’inégalité notamment dans les pays du Sud. Les paradis fiscaux sont considérés comme coûtant aux pays pauvres 170 milliards de dollars de perte de taxation de revenus chaque année. Argent essentiel, qui pourrait payer écoles, hôpitaux, gardes d’enfants et services pour répondre à la violence envers les femmes.
La réalisation des Droits des femmes ne pourra s’accomplir sans qu’on en paye le prix. UNFemmes a fait une analyse des plans d’actions genre, et a trouvé que dans un certain nombre de pays il manque 90 % des fonds nécessaires à la réussite de ces objectifs; c’est pourquoi les féministes du monde entier devraient être extrêmement concernées par les “Panama papers”.
Et ce n’est pas seulement Panama. Il y a peu, le Center for economic and Social Rights (Centre pour les Droits Sociaux et Economiques ) a préparé un document à présenter à l’organe des Nations Unies chargé de vérifier la mise en conformité des traités sur les droits des femmes. Le document mettait l’accent sur l’impact extra territorial de la très opaque législation financière Suisse sur les droits des femmes, notamment dans les pays en développement.
Le secret bancaire et l’esquive des taxes est un thème féministe pour au moins trois raisons. Tout d’abord quand les gouvernements ne peuvent lever assez d’impôts aux riches et aux entreprises ils ont tendance à augmenter les taxes indirectes telles que la TVA ce qui affecte les plus pauvres – en majorité les femmes qui, vu leur rôle genré, sont affectées à l’équilibre des budgets domestiques.
Deuxièmement, une baisse de revenus a un impact disproportionné sur les femmes surtout celles qui vivent dans la pauvreté et ont besoin plus que les autres de fonds publics bien placés en éducation, santé et protection sociale. elles qui sont les premières touchées quand ces services essentiels ne sont pas au point et qu’elles doivent faire des choix terribles où certains membres de la famille ont la priorité. L’esquive des taxes ôte aux pays l’argent dont ils ont un besoin désespéré – ce qui signifie que des filles qui devraient être l’école n’y sont pas, et que des mères et des enfants qui devraient être soignés ne le sont pas. Par exemple une compagnie pétrolière à payé Mossack Fonséca pour l’aider à éviter 400 millions des dollars de taxes en Ouganda. Ceci représente la totalité du budget santé ougandais.
Une troisième raison, fondamentale elle aussi, c’est que ceux, individuels ou entreprises, qui déplacent et cachent leur argent ne parviennent jamais à restituer ce qu’ils doivent à l’économie des soins – à ceux qui fournissent et fournissent encore la main-d’œuvre d’ aujourd’hui et de demain.
Les femmes et les jeunes filles assurent 75 % de ce travail, en général sans que cela soit ni reconnu ni récompensé, alors que les plus riches y trouvent leur profit – là ils trouvent une réserve de travailleurs qui sont éduqués, en bonne santé et bien nourris.
Ils esquivent le payement dans le système des taxes, alors que celui-ci redistribue responsabilités et coûts en finançant services publics et protection sociale. Et les faits montrent que lorsque ces services sont réduits ou non pourvus, ce sont encore les femmes qui subissent la plus grosse part de ce ralentissement qui augmente le nombre d’heures qu’elles passent à s’occuper des autres, et les prive de temps pour étudier, pour du travail payé ou du repos.
Malheureusement ce message sur la centralité d’une Juste taxation pour les droits des femmes n’atteint pas les décideurs. Récemment, à la Commission du Statut de la Femme, un projet de document onusien encourageait les états membres à augmenter la mobilisation des ressources nationales en mettant en œuvre un système de taxes progressives intégrant pleinement les objectifs de l’égalité hommes/femmes et basculant la charge des taxes sur les groupes à plus hauts revenus tout en s’assurant que les entreprises, le secteur de la finance et les industries extractives y avaient leur juste part. Pourtant à la fin des négociations cet appel a été très affaibli.
Notre ambition n’est pas, bien sûr d’arriver à un point tel qu’il y ait autant de milliardaires femmes que d’hommes capables d’éviter les taxes. Au contraire nous devons nous battre pour une l’économie plus juste et des politiques dans lesquelles aussi bien la pauvreté la plus extrême que la richesse la plus criante soient reléguées aux livres d’histoire et où hommes et femmes aient les mêmes pouvoirs de décision à tous les niveaux. Paraphrasant le Premier Ministre canadien Justin Trudeau: nous sommes en 2016, et toute autre suggestion est ridicule. Tous nos leaders – femmes et hommes– doivent prioriser les droits des femmes et la justice économique – ce qui signifie, en finir avec un système de taxation qui permet aux plus riches de ne pas payer ce qui est juste et assurer ainsi les investissements urgemment nécessaires à l’égalité hommes/ femmes
Chiara Capraro : Conseillère genre à Christian Aid UK et paneliste à l’événement parallèle de l’AIF sur entreprises, mondialisation et droits économiques et sociaux des femmes
Francesco Rhodes: conseiller à Oxfam GB